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Sexisme, espace public et cour non-genrée.

  • fcpenoisylegrand
  • 15 avr. 2022
  • 7 min de lecture

Deux scènes pour commencer.

La première scène est devant le portail d'entrée d’une école maternelle.

La directrice félicite chaque petite fille qui arrive en robe, s'extasiant devant sa beauté, sa tenue. Que penserait un visiteur venu de l'espace, qui ne connaît rien à nos coutumes, à qui l'on aurait simplement dit qu'il s'agit d'une école ? Il pourrait facilement croire que la fonction de cette dame à l'entrée, c'est de noter les petites filles sur leur tenue, et que plus la tenue est "féminine" (robe, robe "de princesse") plus l'élève obtient une bonne évaluation : "tu es très belle aujourd'hui", "mais regardez qui voilà, une véritable Fée", etc. Rien pour les petites filles en pantalon par exemple. Notre visiteur remarquerait aussi que seules les filles obtiennent une telle remarque et se demanderait dès lors ce qu'il en est de la tenue des garçons : ont-ils tous une mauvaise note ? Ou sont-ils évalués sur d'autres critères ? Trois copains arrivent en bavardant fort et se donnant des coups d'épées fictives, la directrice les accueille aux mots de "eh bien vous êtes en forme !", "allez-y doucement !" ou même "faites attention les garçons". Or, les enfants sourient : était-ce là leur récompense, ce reproche formel ?


La seconde scène se déroule en début d'année, dans une classe de petite-section, un père accompagne son fils pour son premier jour. Pendant ce temps d'adaptation, l'enfant se dirige vers le coin poupées. Son père l'arrête : "non, tu ne joues pas aux poupées, c'est pour les filles". L'enfant est déçu de ne pas jouer avec ce nouveau joujou qui semble plein de possibilités, mais il est là pour apprendre, aussi intègre-t-il le concept avant, un jour, de le revendiquer quand il ne voudra plus (ne pourra plus) se défaire de cette identité que ses parents, et la société, lui auront assigné.

Qu’est-ce qu’une « cour de récréation non genrée » ? C’est une façon de penser le partage de l’espace en pensant à l’égalité des filles et des garçons, des jeux calmes et des jeux moins calmes, des jeux qui prennent de la place et des jeux à deux ou à trois. Pourquoi le « genre » est-il au cœur de cette question ? Parce que le monde d’où l’on vient n’y pense pas, et que de vieilles habitudes y reproduisent des schémas qui aujourd’hui sont dépassés : garçons au centre de la cour jouant au football, filles sur les côtés prenant la place qu’il leur reste. C’est une occupation de l’espace que l’on trouve encore dans beaucoup de cours, et même si des filles jouent au foot, elles sont minoritaires et le sport lui-même reste celui « des garçons », à l’heure où nous parlons.


Pourquoi est-ce important ? Parce que « l'occupation sexiste de l'espace public », qui traverse débats et polémiques depuis quelques années (et c’est une bonne chose car cela permet de voir ce que l’on ne voyait pas) est une question de société cruciale pour améliorer les relations entre hommes et femmes, et améliorer la situation des femmes dans la société. De cette libre occupation des terrains (on pense aussi à toutes ces superficies urbaines dévolues aux stades, aux skate-parks, là encore, jeux de garçons, mais aussi noms de rues, d’avenues, de stations de métro, de bus, les statues, les affiches aux corps féminins sexualisés, aux corps masculins virils et forts, etc.) vient aussi la libre occupation des rues, des jardins (une femme s’assoit seule pour lire un moment, elle sera importunée), et le sentiment d’insécurité pour 25 % des femmes de 18 à 29 ans. On peut dire aussi que tout ce qui est féminin est dévalorisé (« jeu de fille », « tu te bats comme une fille », « tu cours comme une fille » etc., jusqu’à la couleur rose, qui est tabou pour les garçons, et devient une couleur négative, et si les filles en portent, c’est donc qu’elles ne sont « que » des filles), jusqu’au salaire, à l’âge adulte, la différence de rémunération à travail et expérience égale est encore importante : « Les femmes touchent 23 % de moins que les hommes. Ou encore, ce qui revient au même, les hommes reçoivent 30 % de plus que les femmes » (Observatoire des Inégalités, mars 2021)

Et ces modèles sont inculqués, par effets miroir, de conformisme, d’habitude, dans les familles quand, par exemple, on recommande à la jeune fille de "faire attention en rentrant ce soir" alors qu'il ne vient à l'esprit de personne de dire au jeune homme "n'agresse pas les jeunes filles ce soir, fais attention à ce que tu fais si tu es en groupe, surtout si vous avez bu" ; ce qu’il faudrait pourtant dire.

De plus en plus, les urbanistes, avec l'aide des sociologues, prennent en compte l'organisation genrée de l’espace public. Ceci est discuté avec les adultes et les enfants d’une école ou d’un collège, et cela a pour but de réduire le harcèlement, d’améliorer les relations garçons/filles mais aussi garçons/garçons et filles/filles. Il s’agit d’ouvrir un espace de possibilités, qui ne permette pas le harcèlement, que celui-ci apparaisse désormais anormal, quand aujourd’hui il est la norme, comme « naturel » (« fais attention au loup », « les hommes sont comme ça », etc.). Il est la norme parce qu’il existe encore aujourd’hui une hiérarchie dans la société entre ce qui est féminin et ce qui est masculin, ce qui justifie une domination et peut justifier des comportements inappropriés et violents car comme dit plus haut, ce qui est féminin est encore dévalorisé, pas important, négligeable, jusqu'aux salaires ou aux postes élevés dans la hiérarchie (plafond de verre).


Un extrait de Comprendre les inégalités dans la cour d’école, entretien avec Edith Maruéjouls, urbaniste, sur L’Obs/Rue89 :

L’une des élèves se dessine sous le préau, entourée de huit filles représentées par des « F » majuscules.« Là il y a un terrain de basket où il y a plein de garçons », montre une autre. Sur sa feuille, elle a aussi tracé des « G » (comme garçons) répartis sur le terrain de foot adjacent. Ils occupent la majeure partie de l’espace central.
Et les filles ? Les « F » se trouvent sur les côtés : tout autour du terrain rectangulaire ainsi que sur les bancs.[…]Dans toutes les observations que j’ai pu faire, je remarque que l’espace central de la cour de récréation est non mixte. Il va être occupé bien souvent par un terrain de football. Quand le terrain est dessiné au sol, c’est radical : légitimement, c’est là où l’on fait du foot. À partir du moment ou vous légitimez une pratique, vous allez prescrire un usage et vous allez proscrire tous les autres. Autour de ce terrain, on observe des petits groupes de filles qui jouent par deux, trois…
Pendant un moment, l’équipe enseignante a animé les récrés pour proposer aux enfants des jeux alternatifs ou collectifs comme le ballon prisonnier. Un ballon ne sert pas qu’à jouer au foot. On peut avoir envie de jouer à autre chose mais en être privé parce que c’est l’outil captif du terrain de foot.
Les enseignants ont aussi mis en place des récréations sans football (mais pas forcément sans ballon !) et une récré sans ballon. Le but est de voir comment les enfants réinvestissent entre eux d’autres jeux.
C’est intéressant de constater que quand ils organisaient une récréation sans foot, le terrain central est déserté. Il se vide. Comment peut-on occuper de nouveau cet espace-là ? Qu’est ce que ce terrain a de bien pour jouer ? Pour organiser un jeu collectif ? La matière fait qu’on peut rouler dessus… Les cages peuvent devenir des navettes spatiales ou des maisons… Quand il n’y a pas de ballon, on peut aussi faire un foot-freesby ; au final, les cages servent à marquer des buts pour n’importe quels jeux. L’équipe enseignante a aussi renouvelé les jeux proposés aux enfants en achetant des échasses ou des quilles que les élèves ont à disposition dans un gros bac. J’ai travaillé sur une autre école ou ils ont des briques géantes avec lesquelles ils peuvent construire des choses.

Pour lire l’entretien complet, cliquez ici.


Dans ses conférences, Edith Maruejouls explique bien le cheminement de cet « apprentissage involontaire » (parfois volontaire comme on l'a vu plus haut) parce que nous sommes des animaux sociaux qui avons appris à nous conformer, cet apprentissage, donc, qui part du plus jeune âge, jusqu'à l'élémentaire avec cet exemple du terrain de jeu, va plus loin et initie à toute la gestion de l'espace public, dans et hors de l'école. On le comprend, il s’agit d’un ensemble de facteurs, et la bonne volonté seule ne suffit pas si l’on a un jugement biaisé par nos habitudes, notre apprentissage, notre culture.


Cette question s’immisce dans toutes les relations, et malgré toute l’attention qu’ils peuvent y porter, les éducateurs sont influencés par ce qui fait que notre société est ce qu’elle est, le résultat des enquêtes de la Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP du Ministère de l’Éducation) révèle par exemple que « les enseignant.e.s interagissent en moyenne plus fréquemment en classe avec les garçons (56 %) qu’avec les filles (44 %) ». Autre exemple trouvé dans les manuels scolaires : « dans les programmes comme dans les manuels scolaires, l’importance des femmes est minorée et elles restent cantonnées à des rôles traditionnels : dans les manuels de lecture de CP, les femmes représentent 40 % des personnages et 70 % de ceux qui font la cuisine et le ménage, mais seulement 3 % des personnages occupant un métier scientifique ». (voir ce document PDF)

Dans le cadre d’un diagnostic d’école élémentaire ou de collège, l'objectif est formulé ainsi :

« l'égalité des possibles ». La cour se transforme, il peut y avoir des zones réservées au calme, au non-jeu (sous des « arbres à palabres »).

Les autres espaces sont aussi évoqués, comme celui des toilettes mixtes, qui de par leur fonction est nécessairement coupé de la surveillance, pour respecter l’intimité, mais se transforme ainsi en zone de non-droit, et le harcèlement garçon/garçon ou fille/fille peut s’y développer ; d’ailleurs beaucoup d’enfants se retiennent d’aller aux toilettes, n’aiment pas y aller, ce qui peut provoquer des problèmes de santé. Tout contribue, en plus du langage comme on l’a dit, à séparer les filles et les garçons, et on peut constater, bien souvent, que les relations d’amitiés entre genre différents sont mal perçues, moquées, et finalement découragées. L’homophobie a aussi un terreau fertile, et peut exclure et provoquer de graves situations de mal être. Tout est encore possible, par le dialogue entre toutes les parties, adultes et élèves, pour aboutir à un résultat harmonieux du partage de l’espace public dans la cour, utopie où l’on apprendrait à modifier, plus tard, l’espace public de la ville.


J.S


 
 
 

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